Conservée en mains privées depuis toujours, la « Tabatière Choiseul » est un chef-d’œuvre du XVIIIe français, un témoignage intime et politique exceptionnel.
Un chef-d’œuvre miniature
Cet objet resté confidentiel mais néanmoins infiniment célèbre, est bien autre chose qu’une simple tabatière en ors de couleurs. Son caractère exceptionnel tient tout d’abord de sa taille : 8 centimètres de longueur, sur 6 centimètres de largeur et 2,4 centimètres de hauteur. Sur toutes ses faces, protégées par des plaques de cristal, sont insérées d’extraordinaires miniatures peintes à la gouache sur vélin, dues au talent de Louis-Nicolas Van Blarenberghe (1716-1794).
D’origine lilloise, cette famille d’artistes s’est illustrée dans la représentation des campagnes militaires avant de faire une carrière parisienne et versaillaise à la faveur des commandes de l’aristocratie de cour. Appréciés pour leur extrême minutie et leur sens de l’observation, Louis-Nicolas et son fils Henri-Joseph Van Blarenberghe (1750-1826) ont peint d’innombrables paysages, des vues de châteaux, des scènes de genre inspirées des grands peintres, ou des événements festifs traités comme des scénographies, emplis de personnages, vivants et colorés, que leurs clients montaient en tabatières.
En 1769, Louis XV honore Louis-Nicolas d’un brevet de « peintre des batailles ». C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’exécution de la tabatière. Ses miniatures, qui décrivent avec une précision inouïe le ministre dans le cadre de son hôtel parisien, de la Galerie du Louvre et de ses bureaux de Versailles, en font un véritable unicum dans l’œuvre si abondante de l’artiste.


Le Duc de Choiseul
Issu d’une noble lignée de Lorraine, Étienne-François de Choiseul (1719-1785) débute une carrière militaire au service de la France et gagne le grade de maréchal de camp. La faveur de Madame de Pompadour lui vaut d’obtenir l’ambassade de Rome (1753-1757) puis celle de Vienne (1757-1758).
À son mariage en 1750 avec Louise-Honorine Crozat du Châtel, petite-fille du financier Antoine Crozat, une pluie d’or s’est abattue sur lui : le couple s’est installé dans l’immense hôtel édifié au début du siècle pour le célèbre collectionneur Pierre Crozat, à l’extrémité nord de la rue de Richelieu. Choiseul qui voue une véritable passion à la peinture, entreprend d’y réunir une immense collection : plus de soixante-dix tableaux sont visibles sur les six faces et les pans coupés de la Tabatière Choiseul.

En 1756, le cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit vient récompenser ce diplomate intelligent et jouisseur, aussi audacieux qu’arrogant, que l’ombrageux Louis XV comble de bienfaits. À partir de 1758, Choiseul entre au gouvernement : ministre d’État, secrétaire d’État des Affaires étrangères, de la Guerre et de la Marine, il assume ce long « ministère Choiseul » de douze ans qui s’achève par une disgrâce brutale le 24 décembre 1770.
Choiseul doit se retirer immédiatement dans son domaine de Chanteloup qu’il ne quittera qu’à la mort de Louis XV. L’hôtel parisien est vidé de ses meubles ; il sera vendu et disparaîtra, entièrement loti. Une vente fameuse, en 1772, disperse la collection de tableaux que les amis de Choiseul surachètent pour lui témoigner leur soutien. Choiseul mourra très endetté en 1785 dans un splendide hôtel situé rue de la Grange-Batelière.

Une commande mystérieuse
C’est toute la fascination exercée par la Tabatière Choiseul : elle montre l’homme au faîte de sa carrière et juste avant sa chute ; des lieux aussitôt peints, aussitôt disparus, une collection dispersée, tout un monde perdu.
Signée des poinçons de l’orfèvre Louis Roucel, « orfèvre privilégié du roi » dont Choiseul et son entourage furent d’assidus clients, la Tabatière a été exécutée entre juillet 1770 et juillet 1771. On ignore encore les circonstances de cette commande à Louis-Nicolas Van Blarenberghe. Les liens du ministre avec les Van Blarenberghe s’étaient déjà illustrés dans une magnifique tabatière dédiée aux somptueux jardins de Chanteloup dont les miniatures furent peintes en 1767 (New York, Metropolitan Museum of Art).
La Tabatière Choiseul fut-elle une commande du ministre en personne ou d’un membre de son clan ? Cette question est cruciale pour comprendre le choix et la disposition des scènes et pour les interpréter. La précision des miniatures a d’ores et déjà permis d’identifier certains personnages sur la quarantaine représentée : Choiseul à coup sûr, mais aussi peut-être sa sœur l’altière duchesse de Gramont, et quelques-uns de ses proches.


Merci à tous nos mécènes !
Le musée du Louvre a fait appel à la générosité de tous afin de réunir 1 200 000 € avant le 28 février 2023. L’objectif a été atteint et la Tabatière Choiseul rejoint ses collections. Merci infiniment à tous les donateurs de la campagne !